Causes des acouphènes
L'acouphène est un phénomène complexe et multifactoriel, au départ auditif puis cérébral et modulé par un facteur émotionnel. Deux hypothèses principales ont émergé : l’hypothèse d’une origine périphérique ou centrale de l’acouphène.
Origine périphérique de l'acouphène
La première hypothèse serait qu’une atteinte périphérique auditive cochléaire, ou du nerf auditif entraînerait un dysfonctionnement local. Pour mieux comprendre comment une lésion périphérique peut créer un acouphène il faut comprendre le fonctionnement de la cochlée.
La cochlée se divise en trois canaux, le principal étant le canal cochléaire contenant un liquide appelé endolymphe, entouré de deux canaux contenant un liquide appelé périlymphe. Le canal cochléaire contient les cellules ciliées externes et internes, imbriquées dans la membrane basilaire. Le haut des cellules ciliées externes, muni de stéréocils, est également imbriqué dans la membrane tectoriale. Lorsqu'un son est émis, il est transmis par le tympan et les osselets de l'oreille moyenne à la cochlée. Les liquides de l'oreille interne sont alors déplacés, ce qui fait vibrer la membrane basilaire. Les scilles des cellules ciliées externes sont alors mis en mouvement, ce qui stimule les cellules ciliées internes, qui à leur tour transmettent l'information sonore aux fibres du nerf auditif par l'intermédiaire de synapses. L'information sonore est alors transmise au cortex auditif par les voies auditives nerveuses. Le neurotransmetteur émis au niveau de la synapse est appelé "glutamate".
Toute détérioration de ce système fragile peut aboutir à la création d’un acouphène. La détérioration de structures peut avoir lieu à différents endroits de la cochlée.
La mesure de l’audition par une audiométrie haute définition permettra de déceler des micro-pertes auditives sur des sujets qui n’ont pas de perte auditive apparente sur une audiométrie classique.
Détérioration des cellules ciliées externes et cellules ciliées internes
Un traumatisme sonore, une ischémie cochléaire (arrêt de l'approvisionnement sanguin), un barotraumatisme, ou un agent ototoxique, pourraient provoquer une excitotoxicité cochléaire (lésions au niveau des CCEs et CCIs).
L'atteinte unique des CCEs pourrait engendrer une connexion directe entre membrane tectoriale effondrée (car non soutenue par les CCEs), et CCI de la membrane basilaire fragilisée. Cela entraînerait une dépolarisation constante créant une activité continue des fibres du nerf auditif, interprétée par le cerveau comme un son permanent (Liberman et al).
Il pourrait se produire une levée d'inhibition des CCIs intactes, entraînant une activité aberrante dans le nerf auditif (Jastreboff 1990).
Détérioration des neurones cochléaires par excitotoxicité glutamatergique
Les CCIs transmettent l'information sonore aux fibres du nerf auditif en libérant au sein de la synapse un neurotransmetteur, le glutamate. Ce glutamate est libéré au niveau de la CCI via deux récepteurs : le NMDA (N-Méthyl-D-aspartate) pour les fortes intensités, et le non-NMDA pour les intensités faibles et moyennes. Il est ensuite capturé par la fibre auditive efférente. Lors d'une forte exposition sonore, une surexpression des récepteurs NMDAs entraîne une sécrétion massive de glutamate; on parle d'hyperexcitation glutamatergique. La forte concentration de glutamate, ainsi que la création induite de radicaux libres (hydroxyle OH), entraîne des lésions au niveau de la membrane postsynaptique des neurones cochléaires. Les neurones cochléaires altérés repousseraient alors anormalement. Cette nouvelle synapse induirait une activité anormale du nerf auditif et serait responsable de l'apparition de l'acouphène (1990 Ehrenberger).
Changement de caractéristiques des fibres du nerf auditif
Le dysfonctionnement des CCEs,CCIsou synapses, créerait un changement des caractéristiques des fibres du nerf auditif (perte de fibres, baisse de leur activité, ou hyperactivité des fibres résultantes). Cela entraînerait une suractivité corticale à l’origine de l’acouphène.
Origine centrale de l'acouphène
L’origine périphérique ne suffit pas à expliquer à elle seule, la persistance d’un acouphène. Cela a été démontré par une expérience menée sur des patients avec une cophose (surdité totale) d’un seul côté associée à des acouphènes invalidants. Ces patients ont subi une section du nerf auditif du côté sourd. Cette section du nerf auditif n’a pas éliminé les acouphènes. Les acouphènes sont donc dépendants du système nerveux central, même s'ils sont consécutifs à un dysfonctionnement périphérique. (Jastreboff...). L’acouphène serait ainsi lié à une neuro-plasticité cérébrale en faveur de la persistance de l’acouphène (remodelage des connections neuronales).
La lésion périphérique cochléaire entraînerait une levée de l'inhibition centrale (Norena et all 2003, Mossop et al 2002). Le système nerveux central tenterait de compenser la diminution des entrées (liée à la lésion périphérique), par augmentation de la sensibilité des centres corticaux à la stimulation. Cela entrainerait une augmentation anormale de l'activité neuronale spontanée des voies auditives centrales (noyaux cochléaire dorsal (Middleton, Pilati 2011 2012), colliculus inférieur (Dong 2010 Mulders 2010), cortex auditif (Kaltenbach et al 2007, Mühlnickel 1998, Rauscheker). La production d’une activité aberrante serait interprétée comme un bruit par le cortex.
Après une déprivation sensorielle, on observe en effet une réponse des neurones corticaux de l'aire auditive primaire correspondant à la zone fréquentielle de la perte d'audition, à des fréquences proches de celle-ci (ex, fréquences de coupure autour d'un scotome (Arnold et al 1996,Rajan et al., 1993, Norena et al 2002).). Cette aire fréquentielle se trouve alors surreprésentée. L'acouphène pourrait en être une conséquence perceptive, ce qui expliquerait que son spectre perçu corresponde à celui de la perte auditive.
Une lésion périphérique dans la cochlée (cellules ciliées externes, internes, synapses) entraîne un changement de caractéristiques des fibres auditives. Cela provoque une augmentation de la sensibilité des centres corticaux de l’aire auditive, ou hypersynchronisation, à l’origine de l’acouphène (modèle Coopacou).
Analogie entre la douleur et l'acouphène
En 1990, une hypothèse permettait de rapprocher la perception d'un acouphène à une douleur de membre fantôme (douleur ressentie dans un membre plusieurs semaines/mois après son amputation, liée à un remaniement des centres nerveux). Cette hypothèse a été vérifiée par Norena et Eggermont en 2002.
Composante émotionnelle et acouphènes
Il faut rappeler qu'un même acouphène peut créer des ressentis émotionnels différents sur deux personnes différentes. L'état moral, la fatigue le stress pourraient jouer sur le déclenchement et l'importance de l'acouphène. L'acouphène serait par exemple plus important lorsqu'il est associé à un syndrome de stress post-traumatique (Fagelson).
Les chercheurs ont prouvé l’importance du système émotionnel en observant une augmentation de l'activité du cortex non auditif, principalement des aires associées aux processus d'émotions et d'attention (Schecklmann et al 2013, Jastreboff, 1990, Rauscheker 2010, Vanneste 2012).
L'importance du système émotionnel a été décortiquée par Jastreboff dans son modèle neurophysiologique. Plusieurs étapes aboutiraient à un acouphène invalidant :
L'acouphène (son émis à la périphérie) serait détecté de manière inconsciente par des filtres sous corticaux (dans le mésencéphale). Ces filtres trient les informations sonores afin de ne sélectionner que celles qui sont utiles.
Le signal jugé utile (alarmant) est transmis à la conscience, au niveau des aires corticales (aire auditive primaire...). Les systèmes émotionnels, tels que le système limbique, attribuent alors au signal, de manière inconsciente, un caractère neutre, ou imprégné d’une émotion (négative ou positive). Cette charge émotionnelle se fait selon un réflexe conditionné, qui dépend de la mémoire auditive du sujet. Si le signal est jugé neutre par le système limbique, il est renvoyé au niveau de l'inconscience. C'est une boucle interactionnelle.
Habituellement, on observe une diminution de la réponse à des stimulations bénignes répétées, jugées comme neutres et inutiles.
En cas de perception de l'acouphène, ce mécanisme n'a plus lieu, on parle de déshabituation. Le système limbique attribue un caractère négatif à l’acouphène, la sensibilité à l’acouphène se renforce, ce qui est de nouveau perçu négativement par le système limbique. Un cercle vicieux se crée alors entre la perception de l’acouphène et la réaction émotionnelle et comportementale.
Cette déshabituation est liée aux émotions négatives associées à l’acouphène, enregistrées dans la mémoire auditive du patient. Elle est renforcée par les peurs et pensées irrationnelles lors de la perception de l’acouphène.
Le système limbique, gérant les émotions, serait à l’origine de la persistance de l’acouphène qui aurait dû, en raison de son inutilité, être éliminé par les filtres cochléaires sous-corticaux.
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